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Article publié le 16 juin 2020.

Lettre ouverte à M. Bruno LE MAIRE, Ministre de l’Economie et des Finances

Montreuil, le 15 juin 2020

Monsieur le Ministre,

La crise sanitaire liée au Coronavirus s’est présentée de façon fulgurante. Il aura fallu moins de deux mois pour une mondialisation du phénomène et celui-ci se poursuit. Cela a notamment eu pour corollaire une crise économique dont on ne peut que redouter les conséquences sur le moyen et le long terme. Les premières estimations nous arrivent qui laissent augurer des jours difficiles.

Cela nous met en prise avec les pages économiques les plus tendues du XXème siècle : la grande crise de 1929, la Libération et bien entendu le choc pétrolier des années 70. Nous sommes donc en tout état de cause à la veille d’une période économique qui marquera les mémoires. Il s’agit d’un défi que l’Etat va devoir relever. Or, ce dernier a vécu, dans les dernières années, des bouleversements dans ses structures et ses niveaux d’effectifs.

La CGT tient à rappeler que juste avant que ne se déclenche la crise actuelle, celle du système de santé, exsangue, fatigué, ruiné s’étalait devant les yeux des Français. Sans faire ici de généralisation oiseuse, rappelons tout de même que d’une part, en ce qu’il concerne tout le monde et intéresse la santé de chacun, ce système est le service public par excellence. C’est cette dualité de dimensions individuelles et collectives qui caractérise les missions et prérogatives de l’Etat et leur donne ce caractère protecteur auquel l’attachement des Français ne se dément pas.

Les mêmes lignes qui ont présidé aux réformes du système de santé, par la recherche de rationalisation budgétaire, l’optimisation des fonctionnements, la décentralisation/ déconcentration, ont sous-tendu l’ensemble des réformes de l’Administration.

Or, la CGT tient à relever que le résultat en est notamment un amoindrissement dangereux de la réactivité des services de l’Etat allant jusqu’à affecter leur capacité à conduire les politiques publiques.

La DGCCRF, en ce qu’elle doit composer avec les dégâts que lui ont infligé la RGPP et la RéATE est allée plus loin que d’autres directions du Ministère dans la voie des réformes.

A l’heure où il convient de commencer à débriefer l’impact de la COVID-19, il faut interroger sans délai un bilan qui comporte des aspects alarmants. Ce qui se joue c’est la capacité de l’Etat à conserver l’outil DGCCRF d’une part et à lui donner d’autre part la stature de l’outil de renseignement, de contrainte mais aussi de fluidification et de sécurisation de l’économie réelle que l’on peut attendre de lui.

Ce véritable outil d’orientation de l’Economie, indispensable dans la phase de reconstruction et d’arbitrages stratégiques qui va s’ouvrir, c’est une vraie Police Economique au service de l’Ordre Public Economique. C’est-à-dire au service de l’ensemble des citoyens par une forte et constante prise en compte de l’intérêt général. Il y a maintenant besoin d’un état des lieux sans concession, lequel devra appeler au plus vite la prise de décisions qui n’ont que trop tardées.

S’agissant des éléments de bilan, alors que le volet sanitaire est encore préoccupant, il faut prendre la mesure d’une situation économiquement remarquable.

Après une période où l’économie fut comme sous cloche pour sa propre protection, elle connait aujourd’hui un redémarrage progressif. Malgré cela, des secteurs entiers de l’artisanat et du commerce restent à l’arrêt ou doivent travailler de façon dégradée. La restauration, l’hôtellerie touristique, les installations sportives restent en difficulté, sans parler de productions industrielles parfois sous grande tension comme dans le secteur de l’automobile. Pendant ce temps, la grande distribution a fonctionné et continue à le faire sans affronter de véritable pénurie, si ce n’est celle des masques et gels au début de la crise.

Or, les grandes et moyennes surfaces (GMS) commercialisent tout type de produits, sans que la notion de première nécessité ne les impactent réellement. Dans le même temps, le commerce spécialisé a souvent dû fermer au moins pour quelques semaines. Le commerce en ligne a, quant à lui, été fortement perturbé par des capacités postales et logistiques réduites.

Il est en tout cas clair que pour un temps, le nombre des offreurs s’est réduit dans un contexte où des effets de rareté sont apparus (farine, œufs, etc.)

Ces éléments auraient dû amener un service de Police Economique, qui tient une partie de son ADN de la surveillance des prix et de la lutte contre le marché noir, à connaître une période de forte activité. Cela notamment par l’observation des prix entre professionnels et à la consommation. Quitte pour cela à penser un observatoire ad hoc dont le fonctionnement tiendrait compte des exigences d’hygiène.

A titre d’exemple, l’ensemble des agents de la DGCCRF a fait ses courses durant le confinement. Nous avons, sur l’ensemble du territoire sollicité tous les acteurs du commerce (ceux autorisés à exercer leur activité) et cela tant en direct que par les « drives » ou encore le e-commerce. Qu’en avons-nous fait ?

Comment la DGCCRF a-t-elle surveillé les marchés ? Comment s’est elle mise en situation de s’informer, au besoin de s’alarmer et éventuellement de faire des propositions ou entreprendre des actions ?

Ce qui a été fait, peut à certains égards sembler bien modeste. La mise en œuvre de vérifications dématérialisées sur les prix des gels hydro-alcooliques (GHA) puis des masques, pour être importante avait, nous le savions un caractère transitoire. De fait, à l’heure actuelle les risques de dérive tarifaire liés aux pénuries se sont éloignés. Même ainsi, quand à ces occasions nous découvrons d’autres problèmes comme une pénurie de thermomètres, qu’en faisons-nous ? Quelle incidence sur les prix de ces articles ?

Or, la question des prix n’est pas neutre en économie tant s’en faut. Pour nos concitoyens des réalités terribles succèdent à ces semaines de dormances. Les uns ont connu un chômage partiel les privant d’une partie de leur revenu. Pour d’autres c’est tout simplement le licenciement qui vient conclure le confinement. Et déjà ils sont tragiquement nombreux sans que l’on puisse dire que le plus dur est derrière nous. Car pour les entreprises, ce sont des « business plan » qui ont pris du retard, des fournisseurs impayés, des charges accumulées et une concurrence internationale qui reprend ces droits. Que se passe-t-il à présent pour les entreprises qui avaient converti leur outil pour produire des masques et qui voient à présent le marché inondé avec la baisse des prix qui l’accompagne ?

Il semble bien que durant ce coma artificiel, dont l’économie se réveille à présent doucement, celle-ci a dû se protéger toute seule. Où est donc la Police Économique que nous appelons de nos vœux ?

Bien entendu, la DGCCRF, comme l’ensemble des administrations, fera son bilan. Nous verrons ce que nous avons réussi et ce que nous aurions pu mieux faire. C’est sur ce point que les attentions devront se concentrer. Car les choix de la DGCCRF ne dictent pas seuls son bilan.

Eu-t’elle voulu adopter d’autres stratégies qu’elle se serait heurté à un obstacle de taille. Elle ne contrôle pas son réseau et n’a pas en temps réel de visibilité sur son état. Qui a travaillé ? Qui était en télétravail ? Dans quelles conditions ? Avec quels moyens ? Pour quelle quotité de temps ? Qui présentait des facteurs de risque ? Entre cela et la variété des consignes, il existait une situation par département. La DGCCRF a choisi de l’ignorer.

Impossible dans ces conditions d’inventer et d’animer une DGCCRF de crise. Or, n’est-ce pas aussi notre vocation ? De tous les échecs de la RéATE c’est l’un des plus cuisants. Loin de constituer un gain d’efficacité par l’adaptation au niveau local des politiques nationales, elle a amené ici une privation d’effectivité autant qu’une rigidité d’adaptation. Encore une fois, une crise démontre que cette organisation est incompatible avec le véritable objectif d’un tel service.

Alors que le président de la République annonce un après, constitué de changements (pour les productions stratégiques, l’autonomie agricole, etc.), alors que cela consacre l’idée que l’actuel modèle de mondialisation a atteint des limites, un tel constat d’inefficacité est inacceptable.

Il importe de donner à la DGCCRF, pour l’immédiat plus d’autorité sur ses effectifs pour gérer différemment la fin de cette crise, et pour le futur de prendre enfin les dispositions qui s’imposent pour sortir ce service de toute la RéATE et lui donner les moyens d’être une vraie Police Economique au service de la collectivité, en temps de crises de toutes natures comme dans les temps de moindre tension.

L’heure est venue de donner corps aux discours. Il s’agit tant d’avancer sur les chantiers actuellement impulsés par la DGCCRF que de les consolider et les dépasser par la prise en considération des propositions de la CGT. Ces propositions ont été apportées et développées à de multiples reprises, en dernier lors du cycle de discussion Ministériel présidé en 2018 par Mme BRAUN-LEMAIRE et à l’occasion de la mission inter-inspection de 2019 sur les contrôles sanitaires. Deux documents sont annexés à la présente, développant les lignes directrices ci-après :

Il s’agit de donner à la DGCCRF la stature et les attributs d’une police économique notamment par :

• La clarification des missions avec une forte priorisation en faveur des taches liées à la loyauté et à la régulation concurrentielle des marchés (pour reprendre la dénomination officielle mais la CGT substituera le terme d’orientation à celui de régulation),
• Cette clarification opérée ouvrira la porte à une réforme du fonctionnement en redonnant à l’Administration Centrale des prérogatives de gestion des personnels et d’organisation uniformisée des services. La prise en compte des spécificités des missions économiques, en particulier leur transversalité, doit en effet amener à sortir de la sphère interministérielle les orientations stratégiques.
Intellectuellement c’est une sortie de la RéATE et de toute la RéATE.
• La CGT s’est toujours refusé à faire un choix entre régions et départements vus en tant que concepts juridiques. Elle persiste sur cette ligne car ce qui est essentiel c’est la présence sur l’ensemble du territoire national au contact des acteurs de terrain. Cela justifie sur un plan pratique des implantations ayant au minimum une stature départementale.
• Il parait impensable au regard de ces considérations de ne pas repenser la question des effectifs en les amenant à la hauteur des besoins d’une économie qui doit pour partie se reconstruire et pour partie se réinventer, tout regard idéologique sur la chose mis à part.

Il convient par ailleurs de rappeler que, tant pour l’exécution des démarches d’enquête que pour la pertinence scientifique de ses travaux, la question de la DGCCRF est pour la CGT indissociable de celle des laboratoires du SCL. Rien ne sera possible si les pouvoirs publics n’organisent pas une rupture avec les politiques menées hier et aujourd’hui au titre des laboratoires du SCL :

La perte des liens entre les laboratoires du SCL et les agents de la DGCCCRF et de la DGDDI doit cesser. Les suppressions d’effectifs de l’ordre de 15 % ne permettent plus aux personnels de disposer des moyens nécessaires à une mise en œuvre satisfaisante des missions. L’insuffisance des investissements au service du renouvellement et de la maintenance des matériels est source de perte d’efficacité. Le recours à la sous-traitance empêche la capitalisation d’expérience. La politique de recherche et de développement est trop lacunaire.

Dans un tel contexte, les conditions de travail au SCL ne cessent de se dégrader et la souffrance au travail frappe les personnels.

Pour toutes ces raisons le travail empêché est une triste réalité au SCL. C’est pourquoi la CGT demande, dans l’urgence, la définition d’un plan pluriannuel d’investissements.

Bien évidemment, le plan pluriannuel de recrutement dont toute la DGCCRF a besoin, a aussi vocation à s’appliquer au sein du SCL.

La CGT tient à souligner que cette période est porteuse d’opportunité.

Clairement les attentes vis-à-vis de l’Etat sont là. Sans doute peut-on gager qu’elles ont une dimension plus vaste que celle, conjoncturelle, amenée par la COVID-19. Les luttes engagées avant le déclenchement de cette crise et leur retentissement dans la population en témoignent.

Les annonces qui auraient dû suivre CAP 2022 n’ont pas été faites. Le champ est donc ouvert pour impulser une idée nouvelle et s’appuyer sur un service rebâti.

Le 5 mai dernier, lors d’une audio conférence avec les fédérations syndicales des Finances et les organisations syndicales de la DGCCRF et de ses Laboratoires, vous vous êtes exprimé sur l’organisation du service et l’inter ministérialité. Vous avez déclaré ne pas être satisfait de la situation actuelle et précisé qu’il était nécessaire, à la sortie de la crise, de revoir la problématique de la chaine de commandement.

A la lumière de la crise générée par la pandémie, le moment est venu d’opérer d’autres choix à la DGCCRF.

La CGT formule des propositions et des revendications dans ce sens.

Veuillez croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de nos plus respectueuses salutations.

Les co-secrétaires généraux,

Jean-Philippe SIMON, Brigitte BIDAULT, Virginie MARTINOT

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