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Article publié le 21 décembre 2007.

Lettre ouverte des sections CGT d’Île de France

Paris, le 14 décembre 2007

Madame Christine Lagarde
Ministre de l’Économie des Finances et de l’Emploi

Madame Rachida Dati
Garde des Sceaux,

Monsieur Luc Chatel
Secrétaire d’État chargé du Tourisme et de la Consommation

Mesdames, Monsieur les ministres,

La protection du consommateur est au centre de la communication du gouvernement ; les questions du surendettement des ménages, les litiges de masse, les ententes dans le secteur de la téléphonie, la part exponentielle prise par le commerce électronique sont en effet des questions emblématiques et qui doivent être traitées comme telles.
Dans sa consommation courante, le consommateur recherche des produits et des services sains et loyaux.
Il doit pouvoir éviter les pièges nés des dérives du marché (règles de démarchage à domicile, règles de crédit à la consommation, réparations domestiques d’urgence, réglementation dans le domaine immobilier).
La mise sur le marché de produits contrefaits ou posant des problèmes de sécurité (jouets, lits pour bébé, dentifrices) et de denrées alimentaires non conformes (colorant SUDAN) devient fréquente par le biais de réseaux de distribution mondiaux.
La concentration d’un certain nombre de marchés génère des situations d’entente et de distorsion de la concurrence au détriment du consommateur.
La défense du pouvoir d’achat nécessite en amont un contrôle de la qualité des produits, du bon fonctionnement des marchés, ainsi qu’une transparence économique lors de l’acte d’achat. Cela doit se traduire notamment par la loyauté des relations commerciales, l’obtention de services ou de produits de qualité répondant à l’attente des acheteurs.
Cette exigence est devenue apparemment une préoccupation du gouvernement, dont acte .
La DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) est reconnue par le consommateur, les professionnels et les médias comme l’instance légitime chargée de ce devoir de vigilance.

Ses missions, son devenir et ses orientations sont pourtant actuellement remis en cause par ce même gouvernement.

En effet lors de l’installation du nouveau Directeur Général, à la tête de la DGCCRF, après une vacance de 2 mois, Madame le ministre de l’économie et des finances a appelé notre administration à accroître ses opérations de prévention : information, pédagogie, conseil. Elle a précisé que l’administration française doit être vue avant tout comme un « partenaire » (sic) par les professionnels.

La DGCCRF, administration de contrôle, trouve dans son actuelle configuration un double son dans les crises économiques et sanitaires du début du XXIème siècle.
Sa mission, dès sa création et jusqu’à aujourd’hui est de rechercher et de constater des infractions pénales. Son champ d’action couvre l’ensemble des secteurs économiques. Elle intervient pour lutter contre des pratiques sanctionnées par le code de la consommation et le code de commerce. Les textes qu’elle est chargée d’appliquer font partie de l’ensemble des mesures nécessaires pour maintenir une concurrence saine et loyale des marchés susceptible de garantir le pouvoir d’achat du consommateur, notion « chère » au gouvernement s’il en est.

Contrevenir à des dispositions légales est constitutif d’un trouble à l’ordre public et pas seulement à l’ordre public économique.
Dans ce cadre, la seule pédagogie efficace est bien d’assurer l’exemplarité par la sanction pénale comme le gouvernement actuel le répète pour tout autre trouble à l’ordre public. La prévention et l’information des professionnels sur leurs obligations réglementaires constituent par ailleurs une part importante des interventions de la DGCCRF et c’est normal. Pour autant elle n’a certainement pas vocation à se substituer au « service consommateur » ou aux obligations d’audits qualité des entreprises.

Réduire une administration de contrôle à un rôle de « partenaire » chargé de la prévention au service des entreprises, c’est bien opérer une transformation radicale de ses finalités.

Le 25 juillet 2007, a été signée avec les organisations patronales du secteur HCR une « Charte des droits des entreprises du secteur des hôtels, cafés et restaurants » qui acte notamment :
l’engagement pour les différents services de l’État de mener les opérations de contrôle dans la discrétion.
l’engagement de limiter les risques d’atteinte à l’image du professionnel concerné ou du secteur HCR dans son ensemble.
l’engagement d’éviter les contrôles effectués pendant les heures d’affluence de la clientèle ;
l’institution d’un « médiateur » issu de la profession, chargé de tenter des conciliations lorsqu’un contrôle débouche sur une sanction grave ou une difficulté particulière.

Les contrôles de notre administration comme l’application de mesures correctives pour un retour à une pratique loyale, conforme à la loi, se trouvent ainsi contestés.
Pourtant, dans un état de droit, tout domaine d’activité est assujetti au respect de la loi. Aucun secteur ne peut en être exonéré.
Les agents de la DGCCRF sont habilités par la loi à exercer certaines fonctions de police judiciaire. Leurs actions s’inscrivent donc dans le cadre de procédures pénales et non de chartes en marge de la réglementation répondant aux seuls desideratas des professionnels. Subordonner la loi pénale à des contrats entre l’État et une corporation est sans fondement voire illégal : ce serait en effet exclure certaines entreprises du champ de contrôle de l’administration régalienne qu’est la DGCCRF.

Mutatis mutandis, une note de service (2007-24) publiée suite à la tentative de l’enseigne AUCHAN de faire l’objet d’un traitement particulier visant à canaliser les procédures de contrôle de notre administration a rappelé qu’« aucune mesure d’organisation convenue avec les professionnels ne peut limiter les pouvoirs d’enquête d’un agent ». Elle a mis en exergue que « la loi confie aux agents de la DGCCRF des pouvoirs d’enquête dont l’exercice ne saurait être encadré par un document signé entre un professionnel et un service de la DGCCRF ».
Récemment, Madame le ministre de l’économie et des finances et de l’emploi est intervenue dans le cadre d’une tâche programmée nationale « TN 51 AH Coopération commerciale dans les pharmacies » dont le lien avec le pouvoir d’achat est indéniable. L’action de la DGCCRF s’inscrivait « dans le cadre du plan d’économie sur les médicaments mis en place par les pouvoirs publics ». L’objectif poursuivi était « de modérer les avantages financiers reçus par les pharmaciens, en particulier la coopération commerciale, afin d’inciter à la baisse des prix des médicaments génériques ». Plusieurs rappels à la réglementation avaient été adressés lors de contrôles antérieurs à des pharmaciens pour non-respect des dispositions de l’arrêté modifié du 4 août 1987 relatif aux prix et marges des médicaments remboursables.
Voir perdurer des pratiques contraires à la loi peut conduire, et ceci dans le respect de l’Etat de droit, à la transmission aux parquets d’un procès-verbal. La profession s’est alors tournée vers le ministère de la Santé. Dans un courrier curieusement passé sous silence, Madame LAGARDE s’engageait à sursoir aux contrôles jusqu’au 1er décembre 2007, afin « de trouver des solutions avec les différents acteurs pour réintégrer les marges arrières dans les prix de revente des médicaments remboursables ».
Cette intervention encourage ainsi cette profession à maintenir des pratiques contraires au code de commerce.
Aucune corporation n’a droit à une indulgence préalable ni à un privilège quelconque de mansuétude. Toute infraction à la loi , par quelque corporation que ce soit, doit être réprimée à proportion de la faute commise.
La DGCCRF et ses agents sous l’autorité du procureur de la république (articles 12 et 15 du code de la procédure pénale) sont donc avant tout chargés au terme de l’article 14 du Code de Procédure Pénale, de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information judiciaire n’est pas ouverte. L’agent est maître des suites à donner à un dossier. Il est libre d’initier un contrôle dans un secteur donné dans le respect des règles administrative et sous l’autorité du procureur, seul compétent en matière pénale pour apprécier l’opportunité des poursuites.

Attribuer aux agents de la DGCCRF une fonction de prestataire de service pour les entreprises conduit à les déposséder de leurs pouvoirs issus de la loi, destinés en premier chef à assurer la protection du consommateur.

C’est bien évidemment dans le cadre de l’État de droit que l’agent de contrôle de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes assure ses fonctions principales :
protéger le consommateur
assurer sa sécurité économique
réguler le marché

Réduire son intervention à une activité de prévention constitue une amputation de ces fonctions et contrevient gravement à sa raison d’être. Le consommateur en paiera les frais et ce sans médiation d’aucune sorte.

Nous vous prions, Mesdames, Monsieur les ministres d’agréer l’expression de notre considération distinguée.

Les sections CGT de la Région Ile de France.

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